“Où il est enfin question dans l’œuvre du peintre
Michel Gemignani, de prendre véritablement les
enfants du bon dieu pour des canards sauvages”
Quand je vais voir une exposition de peinture, j’emmène toujours avec moi mon directeur de conscience picturale, le bienheureux curé d’art.
Ce jour là il s’agissait d’un vernissage sur le thème « de plumes et d’eaux » avec comme motif emblématique « le canard ».
Volatile humilié, volatile enchainé, volatile libéré, comme aurait dit un certain Général...
L’abbé avec son « œil de poule » n’avait pas manqué de noter dans le catalogue une phrase en exergue faisant référence aux notions de fini et d’infini dans la création. Ces deux notions, c’était
bien évidemment son truc à lui. Il était déjà comme un poisson dans l’eau et je l’avais d’ailleurs retrouvé sans un poil de sec, tant il avait volé vite à tire d’aile, pour ne pas manquer
l’évènement.
• Alors, l’abbé, que pensez de l’apparition de ce thème du canard dans l’œuvre du peintre ?
• Du bien, assurément… et si l’on se réfère à sa période « érotique» (classique chez un grand peintre) peut-être que la plume finira par recouvrir le poil…
• Et vous croyez que…
• Ah oui, dur comme fer, je crois qu’avec ce « bon dieu d’animal » (excusez du peu) l’artiste marche à grand pas vers une sérénité, une paix intérieure enfin retrouvée… D’ailleurs, ne nous y
trompons pas, le peintre dont l’âme travaille lentement, mais le pinceau très vite, a choisi de nous « impressionner » avec cette réflexion de Swami Vevekananda « tout l’univers est pour nous
l’expression de l’infini dans le langage du fini ».
• C’est impressionnant, en effet, n’est-ce-pas déjà notre grand Victor Hugo qui proférait dans un cri, et dans les Contemplations aussi, que « la forme est le fond qui remonte à la surface
».
• Assurément… Et bien voilà, mes biens chers frères, surface, le maître mot est lâché… Oui, en ce début de siècle, celui qui refait surface, c’est le divin, c’est Dieu qui avec son fils Jésus
vient nous rappeler qu’il faut rendre aux Beaux-Arts ce qui appartient aux Beaux-Arts…
• Et aux canards ce qui appartient aux canards…
• Assurément… Car je veux parler « ici et maintenant » de l’étincelle divine, de la grâce, du feu sacré, du regard tendre et tendu, parfois illuminé, qui animent ces volatiles. Voyez ce qui est
arrivé avec l’art Saint Sulpicien. On était à la traîne et on avait l’air fin. Il a fallu appeler « les Pompiers ». Vous, Monsieur Gemignani, vous l’avez de suite compris. Laissons brûler la
ménagerie, les Fauves viendront manger dans nos mains et Dieu reconnaîtra vos canards comme siens.
• Fort bien l’abbé… Maintenant au terme de la visite, une conclusion s’impose me semble-t-il ?
• Assurément… Et bien oui, à mon tour, je dirais, merci à Monsieur Gemignani, merci d’avoir libéré le canard de la tyrannie de sa mare, de lui avoir permis d’envoyer au diable sa mare, au diable
les amarres, n’en déplaise à Madame de Nohant, de l’avoir aidé à voler et monter vers Dieu, à réaliser le mariage du ciel avec la terre, et à se plonger dans cette belle histoire du petit canard
et du petit poisson qui réussissent enfin à s’aimer d’amour tendre. Oui, cette unité retrouvée, c’est cela la beauté de la peinture. Une idée révélée de Dieu que nous devons croire quoique nous
ne puissions pas la comprendre!
Et là-dessus, l’abbé s’effondre terrassé par la joie.
Plus tard on retrouvera dans ses poches quelques légendes griffonnées à la hâte.
Au diable… La mare.
Fluctuat nec mergitur.
Quelle plume ce Brassens !
French coin-coin… Mon truc en plumes !
(A notre avis la vocation tardive de l’abbé pourrait expliquer cette légende).
Michel Perrier